Témoignages
Depuis que j’enseigne, j’ai vu des élèves se réconcilier avec les mathématiques à plusieurs reprises.
Ce fût pour moi chaque fois un moment unique et inoubliable. Le regard d’une personne qui enfin reprend confiance et comprend. C’est une telle joie, un tel cadeau. Ce moment donne tout son sens à mon métier.
Comme pour Isabelle
Isabelle est une adulte d’une cinquantaine d’année qui avait un blocage en mathématiques. Chaque fois qu’elle avait des calculs à faire, c’était la panique.
Je l’ai rencontrée alors qu’elle intervenait auprès de jeunes adolescents. Au fil du temps, une amitié est née.
Un jour, elle est venue me voir pour un service. Elle devait préparer 200 chocolats chauds pour des ados et sa recette était faite pour 6 personnes. Elle était dans l’incapacité de calculer les proportions pour 200. Après lui avoir fait le calcul, nous avons échangé sur son blocage qui était douloureux et très éprouvant émotionnellement. Quelques années plus tard, j’ai demandé à Isabelle d’accompagner une de mes élèves de 3ème pour l’aider à faire ses devoirs et à apprendre ses leçons. Isabelle a un talent avec les jeunes et je pressentais qu’elle pouvait beaucoup apporter à cette jeune fille dyscalculique et angoissée par l’école. Le problème s’est posé pour l’aider en mathématiques. Etant donné que cette enfant avait souffert dans cette matière, je savais que Isabelle la comprendrait. Nous avions convenu qu’elle l’aiderait dans toutes les autres matières et que je guiderais l’accompagnement mathématique.
Pour ce faire, je suis allée donner un cours de mathématiques de 1h à Isabelle sur le niveau 4ème et 3ème.
Mon amie avait confiance en moi, ce qui est primordial pour pouvoir assimiler les notions. Comme elle a fait de études notariales et qu’elle peint des œuvres, j’ai commencé par revoir avec elle le fameux théorème de Pythagore en insistant sur le vocabulaire. Une personne qui fait des études de droit est sensible aux mots. Et une personne qui dessine si bien a une bonne représentation de l’espace. Isabelle a parfaitement compris ce théorème et s’amusait à retrouver des longueurs d’un triangle rectangle.
J’ai alors commencé à faire du calcul littéral en passant par le jeu et très vite nous avons calculé des expressions avec des x sans problème.
Isabelle comprenait et réutilisait les concepts avec une rapidité fulgurante. J’étais déstabilisée car elle n’était pas « nulle» en maths , bien au contraire. Elle riait et disait « j’adore , c’est amusant ». Elle a donc réduit des expressions, développé des expressions, et même factorisé des identités remarquables. Isabelle a pris conscience qu’elle était douée en mathématiques. Elle était dans une telle joie. Depuis son année de 5ème où cela s’était mal passé avec sa professeure, elle se croyait nulle. Et soudain elle était capable de faire tout le programme du niveau 3ème avec une facilité déconcertante.
Depuis ce jour, Isabelle n’a aucun problème avec les mathématiques. Il m’a fallu plus de 3 jours pour m’en remettre. Cette femme a passé une trentaine d’année à être en souffrance dès qu’il y avait des calculs à faire et elle n’a aucune problème en mathématiques, bien au contraire. Cela m’a ébranlée en tant que professeure. Est-ce que je me trompe sur certains de mes élèves ?
Comme pour Elisabeth
J’ai commencé à enseigner il y a 17 ans dans une école primaire dont la directrice s’appelait Elisabeth. Je l’admirais. Elle était d’un grand professionnalisme et d’une bienveillance avec chacun de ses élèves. Sa porte était toujours ouverte aux parents, aux enseignants et même aux élèves. Elle prenait le temps pour chacun avec une grande disponibilité. J’ai fait quelques courts remplacements dans cette école car très vite, on m’a affectée au lycée.
J’ai gardé le contact avec cette femme cinquantenaire que j’appréciais et qui je pense m’a transmis cette passion de l’enseignement. Etant nouvelle dans le métier, elle me faisait profiter de son expérience.
Un jour, elle me confia qu’elle n’avait jamais rien compris aux x en mathématiques car une fois il prenait plein de valeurs possibles alors que par moment il n’y avait qu’une valeur possible. Je lui ai expliqué qu’effectivement cette lettre pouvait représenter une variable ou bien une inconnue.
Je lui ai expliqué la différence, elle est repartie le cœur léger car enfin elle comprenait cette différence. Cela m’a beaucoup aidé dans mes pratiques avec mes élèves.
Par exemple, quand j’écris 2x+5 cela signifie que nous pouvons choisir un nombre au hasard, le multiplier par 2 et ajouter 5. Le nombre n’est pas encore fixé, si nous sommes 150 personnes à choisir un nombre pour faire ce calcul, nous pouvons choisir des nombres différents. x représente une variable. Il peut varier, prendre une infinité de valeurs.
Mais après avoir choisi ce nombre et fait le calcul, je trouve 25. On aura 2x+5=25. Mais dans ce cas précis, le nombre a été fixé. Vous ne savez pas ce que j’ai choisi, c’est un nombre secret, mais vous savez que je l’ai multiplié par 2 et que j’ai ajouté 5 pour trouver 25.
Voyons voir, pour trouver le nombre secret que j’avais choisi, il faut remonter le temps comme si je rembobinais un film. Du coup il faut enlever 5 et diviser par 2 . Et hop je trouve 10 donc x=10 . Vous venez de résoudre une équation.
Résoudre une équation revient à remonter dans le temps, à rembobiner le film.
J’ai expliqué cela un jour à une jeune étudiante chez le coiffeur. Elle me disait qu’elle était nulle en maths. Je lui ai demandé de retrouver le nombre secret que j’avais choisi. Elle l’a trouvé à une vitesse fulgurante. Quand je lui ai expliqué qu’elle avait résolu une équation et que cela l’avait amusée, elle était sidérée. Elle n’était donc pas nulle en maths…
Je ne parle que d’adultes, mais j’ai davantage vu des blocages avec des élèves.
Comme pour Nicolas
Je me souviens de Nicolas que j’ai rencontré lors de mes débuts il y a 17 ans. Nicolas était en 4ème. Le premier jour, les élèves me renseignent une petite fiche pour que je les connaisse. Nicolas était absent ce jour-là. Je lui fais renseigner cette fiche le lendemain pendant la récréation. Je demandais, entre autres, de décrire leur niveau en maths avec un ou plusieurs mots. Nous ne sommes pas de notes… Je faisais cela pour amorcer une réflexion quant à leurs aptitudes dans cette matière et pour me rendre compte de la façon dont ils se percevaient. Nicolas me regarde et me demande :
— « avec un mot ? On a le droit d’écrire méga quiche ? »
Je lui réponds en retour :
— « qu’est ce que veut dire quiche dans ce contexte ? »
— « Et bien méga nul madame »
Nous échangeons et subitement il me parle d’auteurs qu’il lisait. De Tolkien et de certains philosophes. Je rentre chez moi surprise par cet échange. Cet enfant m’avait parlé du haut de ses 13 ans de philosophes et de notions très abstraites. Et parallèlement, il se sentait incapable de faire des mathématiques niveau collège.
Il avait éveillé ma curiosité. Nicolas, après cette entrevue, avait continué d’échanger avec moi et au fil du temps, il me parlait de ses passions. Il adorait les sciences. Il était aussi très sensible et captait beaucoup de choses chez ses camarades. Lorsque je lui ai dit que j’avais une maîtrise de physique dans laquelle j’avais étudié la mécanique quantique et la relativité générale, il est devenu enthousiaste. Il m’a assailli de questions très techniques et parfois trop complexes pour moi malgré mon cursus. Je l’ai encouragé à suivre des conférences avec des doctorants et de leur poser ses questions. Nicolas me parlait car il se sentait en confiance mais souvent dans les autres matières, il se taisait. Il était perçu comme un enfant qui avait des difficultés scolaires. Ce sont mes élèves qui m’ont le plus appris dans mon métier et qui m’apprennent encore. Il est primordial de les écouter pour mieux leur enseigner.